La peur de l’obésité ? c’est une chance pour les groupes agroalimentaires qui rebondissent avec leurs gammes «light».
Le Geste minceur 0%, c’est les petites bouteilles de lait fermenté supposées aider à faire maigrir le consommateur, mais pas les prix. Au litre, le Geste minceur 0% est vendu 5,30 euros. Contre 1,78 euro pour un yaourt standard. Moins de calories donc, mais un prix de vente multiplié par trois. Dans une activité très disputée, où les parts de marché sont très difficiles à conquérir, la peur de l’obésité s’annonce comme un véritable eldorado.
Nestlé n’est pas le seul à en rêver. Un à un, ses concurrents prennent le virage de l’allégé pour répondre à la demande des consommateurs. Ceux-ci sont de plus en plus gourmands de produits à 0% de matière grasse. Et pour cause. Plus de 64% des Américains sont d’ores et déjà en surpoids. En France, le nombre d’obèses croît de 17% chaque année depuis six ans. En 1990, ils représentaient 6% de la population, ils sont plus de 11% aujourd’hui. Plus précisément, 5,4 millions sont obèses et 14 millions en surpoids . A ce rythme-là, la France rejoindra les États-Unis vers 2020. En fait, la vague de la mondialisation touche aussi l’obésité. Elle concerne 1,1 milliard d’adultes et 22 millions d’enfants de moins de cinq ans. L’ONU s’est même fendue d’une campagne internationale contre ces chiffres alarmants.
Dans un premier temps, les grandes marques alimentaires doivent répondre aux accusations qui pleuvent sur elles. Les fast-food, assimilés à la malbouffe, sont les premiers mis en cause. La riposte n’a pas tardé. Avec son programme Goût et nutrition, Quick se targue d’avoir été la première chaîne de restauration rapide à inscrire des salades dans ses menus. C’était en 1983. Puis, ce fut le tour de l’eau minérale en 1988 et des yaourts en 1996. L’enseigne, numéro deux du fast-food dans l’Union européenne, qui compte 308 restaurants en France et 80 en Belgique, a renouvelé sa gamme de salades maison. En particulier, sa Grande Assiette fraîcheur (poulet, salade, mozarella…) fait un tabac.
Si la verdure ne représente que 5 à 6% des ventes de repas Quick, elle procure des marges plus grassouillettes. La Grande Assiette accompagnée d’une Vittel est servie pour 6 euros. C’est le prix d’un repas comprenant un hamburger, une part de frites et une boisson sucrée.
Quick réfléchit aussi à l’élaboration de menus à teneur réduite en graisses pour l’ensemble de la gamme. L’objectif n’étant pas de faire du light, mais de proposer toujours du goût en moins gras», ajoute . De son côté, McDonald’s a dégainé sa parade anti-obésité avec Salads plus, proposant huit nouvelles salades. Double avantage, le leader du hamburger se montre soucieux de l’équilibre de ses clients. En même temps, elle séduit de nouveaux consommateurs : les mères de famille. Elles faisaient ceinture lorsqu’elles accompagnaient leurs enfants au restaurant. Elles peuvent maintenant se sustenter d’une salade
Les grands industriels de l’agroalimentaire ont vu monter le «péril gras». Là aussi, leur réponse est double. D’abord, la défense face aux accusations répétées de nuire à la santé des consommateurs. Ensuite, la contre-attaque en prenant la vague de l’allégé.
Même écho chez Danone, ou encore au sein de l’Association nationale de l’industrie alimentaire (Ania). Celle-ci travaille à contrecarrer toutes les accusations qui pleuvent sur ses adhérents, à fédérer les entreprises sur un minimum d’obligations et à communiquer ensuite sur ses règles de bonne conduite. Pour preuve de sa bonne volonté, les industriels s’engagent à faire figurer un étiquetage nutritionnel complet (taux de lipides, glucides, protides) sur tous les produits . Ce qui n’était pas obligatoire.
La date n’est pas choisie au hasard. C’est aujourd’hui que s’ouvre le Salon international de l’alimentation (Sial) qui réunit toute la semaine fabricants, distributeurs et pouvoirs publics. Déjà, au printemps, l’Ania avait pris «neuf engagements concrets» pour prévenir l’obésité. Cette fois-ci, l’industrie va un peu plus loin. Plus loin que la législation, mais ce nouveau geste ne devrait pas suffire à empêcher de nouvelles mesures de la part du gouvernement.
De même, à la prochaine rentrée scolaire, les 6 000 distributeurs de confiseries et autres boissons sucrées disparaîtront des cours de récré. Même les 200 machines installées en test en septembre par l’Aprifel, organisme professionnel de la filière des fruits et légumes. Bien qu’elles distribuent des pommes, des tomates cerises ou des carottes en bâtonnets, elles sont aussi mises à l’index, car elles favoriseraient le «réflexe grignotage».
Les industriels, eux, veulent éviter maintenant que la loi n’en vienne à interdire la publicité dans les programmes pour enfants, à rendre obligatoire des mentions sanitaires sur les emballages des produits «trop riches», voire à taxer les calories…
La contre-offensive se déroule dans les chariots des grandes surfaces avec les produits allégés qui doivent rassurer les consommateurs. En fait, les géants de l’agroalimentaire font du neuf avec du vieux. Taillefine, la marque de Danone existe depuis… quarante ans et Sveltesse, de Nestlé, depuis trente-cinq. Cela fait donc quarante ans que les industriels ont détecté ce gisement de croissance pour eux. Ils peuvent maintenant l’exploiter pleinement.
Seule Silhouette de Yoplait, plus jeune, n’a pas survécu à la vogue du plaisir et du bien-manger des années 90. Elle n’est plus utilisée que pour le lait écrémé de Candia. Ce qui n’était qu’une niche dans les années 70, un bon filon dans les années 80 (le Diet Coke est créé en 1981), une voie royale dans les années 90, pourrait bien sauver la croissance – et l’honneur – de l’industrie des années 2000.
Outre-Atlantique, Pepsico est sans doute celui qui a développé les idées les plus audacieuses pour aller au devant de ses clients américains. Par la force des choses. Avec ses chips, ses sodas et ses biscuits, l’industriel cumule les produits trop caloriques. Qu’à cela ne tienne, sa division Plateformes pour une nouvelle croissance a déjà inventé les chips au brocoli pour la marque Frito-lays et les barres de fruits frais pour Tropicana.
Pepsico présente ainsi une image moins controversée et sauve ses marques jusqu’alors très connotées. Il s’agit parfois plus de marketing que de santé. La firme a lancé cette année le Pepsi Edge, le premier cola low carb, c’est-à-dire à faible teneur en glucides, qu’il s’agisse de sucres lents ou rapides. Pourtant le Diet Pepsi, qui lui non plus ne contient pas de sucre, date de 1964 ! Tous les industriels se sont mis au même régime low carb. Selon une étude du cabinet d’études Datamonitor, 62% des groupes américains de l’agroalimentaire considèrent le phénomène comme une opportunité. En quelques mois, Unilever a lancé la marque Carb Options ; Dannon (le nom américain de Danone), Carb Control ; Kraft, Carb Well. Quant à Diageo (Guiness, Smirnoff), il s’apprête à lancer aux Etats-Unis des vins à faible teneur en sucre.
Cette mode du low carb débarque en France. «Les protéines de soja, pauvres en acides gras saturés et en cholestérol, sont bien adaptées à ces nouvelles préoccupations», explique-t-on chez Sojasun. L’entreprise bretonne de transformation laitière s’est orientée vers le soja dès 1984, fabriquant des yaourts, des boissons, puis une ligne de plats cuisinés en 1998. Aujourd’hui, avec un opportunisme confondant, Sojasun vient de lancer de la crème fraîche de soja, légère et riche en oméga 3 qui favoriserait le bon cholestérol. Même pari chez Fleury Michon. Le traiteur industriel a développé toute une gamme de jambons maigres à base de viandes de volailles et un jambon avec 25% de sel en moins. Bien entendu, la crème fraîche de soja est plus chère que la crème de lait de vache (6,50 euros le litre contre 4,20 euros) et le jambon avec 25% de sel en moins est vendu jusqu’à 25% plus cher.
Même opportunisme chez Merisant. Ce nom ne vous dit rien ? La société américaine a réalisé 352 millions de dollars de chiffre d’affaires grâce aux deux édulcorants les plus vendus dans le monde, Canderel et Equal. Ils représentent près du tiers d’un marché estimé à 1,3 milliard de dollars. Alors que celui du sucre de table (12 milliards de dollars) est en panne, les édulcorants au contraire progressent de 15% chaque année.
Ils ont de beaux jours devant eux : à l’échelle de la planète, leur taux de pénétration n’est encore que de 10%.. Jusqu’en 1988, l’aspartame n’était disponible qu’en pharmacie. Même si les ventes sont réalisées à 92% en grandes surfaces aujourd’hui, Canderel cherche à gommer l’aspect «médical» de l’édulcorant et propose de nouvelles présentations plus pratiques. L’innovation est aussi gustative : Canderel Crystal se rapproche encore plus de la vraie saveur du sucre et de sa texture croustillante. Avec 50% de calories en moins. Toujours sur le même créneau du «plaisir, les calories en moins», Canderel a déjà lancé en Belgique des barres chocolatées «sans sucres ajoutés».
De même, l’espagnol Chupa Chups a lancé en une sucette sans sucre Cremosa, qui a très vite raflé 11,3% de parts de marché sur les 70,4% qu’occupe l’entreprise. Quant à son Coeur de fruit, sucette à 32 calories, elle a reçu la caution de l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD). Seul Haribo est encore à la traîne. Le confiseur allemand réfléchit encore à des «bonbecs» sans sucre. «Le plus difficile, insiste Frédéric Schaeffer, directeur du marketing pour la France, est de trouver un véritable goût aussi agréable que le sucre.» C’est tout l’enjeu de la bataille : ne pas sacrifier la gourmandise sur l’autel de la minceur.